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Brevets

« Effet unitaire empoisonné », ce qui change avec la JUB

[28/09/2023]

Dans notre dernier article de la série « Ce qui change avec la JUB », nous avons montré que l’existence d’un droit national antérieur (une demande de brevet nationale d’un État européen, disposant d’une date de priorité antérieure à celle du brevet européen considéré, mais publiée après) pouvait créer un risque sérieux de nullité d’un brevet européen à effet unitaire (« brevet unitaire »), en tout cas selon une interprétation des textes qui, si elle reste à être confirmée par la jurisprudence, n’a rien de particulièrement exotique.
Si de tels droits nationaux antérieurs sont en pratique rares, on ne pense pas forcément à … une demande prioritaire du brevet européen.

1. Situation pour les brevets européens « classiques »
En effet, si la demande européenne est une extension d’une demande nationale antérieure d’un Etat européen, la demande européenne en revendique normalement la priorité pour bénéficier de la même date. Mais en cas de priorité invalide, cette demande nationale dispose bien d’une date de priorité antérieure à celle du brevet européen considéré, tout en étant publiée après. Et les deux demandes ont généralement sensiblement le même contenu.
Cela pourrait arriver dans de multiples cas, notamment si la demande européenne est déposée trop tardivement et que le délai de priorité de 12 mois est manqué sans restauration possible, si le document de priorité n’est pas fourni à temps, s’il y a un problème de cession du droit de priorité, ou encore tout simplement si aucune priorité n’a été revendiquée.
Pour un brevet européen « classique », l’absence de priorité valide n’est problématique qu’en cas de divulgation intercalaire. En effet, la demande prioritaire, si elle publiée après le dépôt de la demande européenne, constitue un droit national antérieur qui n’antérioriserait le brevet européen que pour l’État correspondant. La validité du brevet européen ne serait pas concernée dans les autres Etats, et dans l’État concerné on bénéficierait toujours d’une protection nationale via le brevet national issu de cette demande prioritaire, si ce brevet a été maintenu en vigueur.

2. Cas du brevet unitaire
En revanche, on rappelle qu’un brevet unitaire « ne peut être limité, transféré, ou révoqué ou s’éteindre qu’à l’égard de tous les États membres participants » (article 3(2) du règlement n°1257/2012) de sorte que si l’on applique littéralement la loi, la demande prioritaire en tant que droit national antérieur causerait quasiment automatiquement une perte de protection dans tous les États participants à l’accord relatif à une juridiction unifiée du brevet (JUB). Le brevet unitaire ne pourrait survivre que dans la mesure où il pourrait être limité à d’éventuels ajouts nouveaux par rapport à la demande prioritaire.
En cela, dès lors que la priorité est discutable, l’effet unitaire peut être qualifié « d’empoisonné », par analogie avec l’affaire des divisionnaires empoisonnées dont le dépôt pouvait entraîner la nullité de leur demande parente. Cette situation avait provoqué beaucoup d’incertitudes jusqu’à la décision G1/15 de la Grande Chambre de recours de l’Office européen des brevets (OEB), qui avait permis l’existence de priorités partielles même pour des éléments non divulgués dans la demande.

3. Comment pourrait-on se prémunir de ce risque si l’on est intéressé par l’effet unitaire ?
Lorsque l’on craint que la priorité ne soit pas valide, une solution pour éviter tout risque d’effet unitaire empoisonné semblerait être de retirer avant publication la demande prioritaire.
Ainsi, si la priorité était pour une raison ou une autre effectivement invalidée, il n’y aurait plus de droit national antérieur opposable.
Ceci présente toutefois un inconvénient : on perd ainsi la demande nationale, celle qui bénéficiait de manière certaine de la date de dépôt la plus ancienne. Dès lors, si une divulgation a eu lieu entre la date de dépôt de la demande nationale et la date de dépôt de la demande de brevet européen, la validité du brevet unitaire pourrait être remise en cause et il ne subsisterait même pas de brevet national puisque la demande correspondante aurait été abandonnée.
Dès lors, une telle décision d’abandon ne peut être prise qu’au cas par cas et nécessite de peser soigneusement le pour et le contre avant d’agir.

4. Un risque qui pourrait aller au-delà des seuls cas de priorité discutable
En allant encore plus loin, on remarque que la JUB n’est a priori pas liée par la jurisprudence de l’OEB et pourrait tout à fait remettre en question des décisions sur l’appréciation du droit de priorité.
Dans un scénario hypothétique extrême, la JUB pourrait ainsi en théorie renverser la décision G1/15 de la Grande Chambre de recours évoquée avant, et rétablir une appréciation de la notion de « même invention » plus stricte conforme à la décision G2/98. Alors, tous les brevets européens dans lesquels l’objet revendiqué aurait été généralisé lors de l’extension perdraient leur priorité, et la demande prioritaire deviendrait un droit national systématiquement destructeur de nouveauté. Dans les cas des brevets européens « classiques », cela toucherait uniquement le brevet dans l’État de la demande nationale prioritaire. Et pour ceux à effet unitaire, comme expliqué précédemment, la validité de l'intégralité du brevet européen pourrait être concernée !
Ainsi, l’effet unitaire pourrait théoriquement faire peser une épée de Damoclès sur tout brevet européen revendiquant une priorité.

Nos équipes se tiennent à votre disposition pour tout complément d’informations à ce sujet.

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